Les femmes du vin au fil du raisin » continue avec Monia Aoudi, chef sommelière au restaurant Le Prince Noir à Bordeaux. Ce n’est pas tout d’arriver à élaborer un joli vin, il faut ensuite lui trouver le compagnon qui va bien ! Qui n’a jamais été surpris par la magie des accords mets et vins ? Quand l’un et l’autre se subliment pour nous emmener au septième ciel… Je n’avais jamais assisté au réveil d’un restaurant. Il y règne un mélange de sérénité, lorsque l’équipe se met en place tout doucement, et de tension, quand la fébrilité monte à l’approche du service. C’est au petit matin, dans la salle intimiste du Prince Noir, un lieu ouvert sur la nature environnante, où les vieilles pierres se mélangent avec harmonie à une décoration contemporaine, que j’ai eu le plaisir de rencontrer Monia Aoudi, une femme de tous les vins. Monia est originaire de Grenoble. C’est dans cette ville, au pied des pistes de ski, qu’elle a suivi le cursus de l’école hôtelière et qu’elle a eu son premier rendez-vous avec le vin. Une rencontre passionnelle, véritable coup de foudre, qui l’a poussée à continuer ses études en sommellerie. Après quelques années d’expériences en Isère et en Savoie (au Bateau Ivre du chef Jean-Pierre Jacob, 2 étoiles au guide Michelin), elle a eu besoin d’être au cœur du vignoble. Elle a tout naturellement atterri, avec une grande soif de découvertes, à Bordeaux, la capitale mondiale du vin. Cela fait trois ans qu’elle est chef sommelière au restaurant Le Prince Noir à Bordeaux. Monia, souriante et décontractée, me parle des pépites qu’elle a choisies avec des mots simples qui font envie. Elle souhaite rendre le vin accessible à tous. Elle représente à merveille une nouvelle génération de sommeliers qui dépoussière un métier souvent bien trop codifié ! La WINEista. Avez-vous toujours su que la filière vin était faite pour vous ? Monia Aoudi. Ma famille n’est pas issue du milieu du vin. Avant mon entrée à l’école hôtelière, je ne buvais pas de vin, je consommais des cocktails ou des liquoreux, comme tous les jeunes. Je n’avais pas cette connaissance du vin. Mais une fois que j’y ai eu goûté, cela a été une véritable addiction sensorielle ! La WINEista. Qu’est-ce qu’un chef sommelier a de plus qu’un sommelier ? M.A. Le chef sommelier a toutes les responsabilités. C’est le responsable des achats, c’est lui qui crée la carte des vins et qui met au point les accords mets et vins. La WINEista. Qu’est-ce qui vous passionne dans votre métier ? M.A. Dénicher des vins, créer cette carte qui doit être adaptée à la cuisine que propose le chef et à la clientèle. J’aime le partage, le goût, les rencontres et cette soif de connaissances ! Je ne pourrai jamais tout connaître et tout goûter ! Il n’y a pas de routine dans ce métier. La WINEista. Qu’est-ce que la clientèle bordelaise a de particulier ? M.A. Elle consomme plus de vins rouges. Mais mon but est de les surprendre, de leur éveiller le palais. Dans le menu accords mets et vins, je propose une dominante de vins blancs. J’aime quand une personne qui ne consomme habituellement pas de blanc est séduite par l’accord que je lui ai suggéré. Cela m’est arrivé pas plus tard qu’hier soir ! La WINEista. Considérez-vous que travailler dans un restaurant étoilé ce soit le top ? M.A. … Oui, pour la qualité de la cuisine et du service. Mais je peux autant m’amuser dans un petit bistrot qui travaille avec des produits de qualité. La WINEista. Avez-vous goûté tous les plats de la carte ? M.A. Oui tous les plats ! Même quand on est en plein coup de feu, je prends 10 secondes pour goûter les plats que l’on propose. La WINEista. Et vous avez dégusté tous les vins ? M.A. Ah oui ! Oui ! Oui ! Oui ! A partir du moment où j’ouvre une bouteille, je goûte ! Malade ou pas ! Comment peut-on conseiller un vin si on ne le goûte pas ? La WINEista. Est-il plus facile d’accorder un plat avec un vin ou de choisir un vin et d’imaginer le plat qui va bien ? M.A. Pour moi c’est plus facile d’avoir le plat et de choisir un vin. Quand je goûte un plat, je me demande immédiatement ce que je pourrais bien déguster. La WINEista. Vous est-il déjà arrivé d’échanger avec le chef Vivien Durand afin de mettre au point un plat qui s’accorde avec un vin particulier ? M.A. J’échange beaucoup avec Vivien. Lors de la création de carte on est tous ensemble, toute l’équipe. Tout le monde donne son avis. Moi, par exemple, je peux lui suggérer d’ajouter une sauce pour accompagner un poisson parce que j’ai envie de mettre un vin rouge. On s’éclate ! La WINEista. Avec du fromage, êtes-vous plutôt vin blanc ou vin rouge ? M.A. Vin blanc ! Il faut être réaliste, le vin blanc avec le fromage c’est une évidence ! Il y a quelques rouges qui s’accordent relativement bien avec le fromage mais c’est extrêmement rare. Les vins liquoreux fonctionnent très bien, ou le cidre avec le camembert. Un champagne avec un Chaource, hum, c’est une explosion de saveurs ! La WINEista. Pouvez-vous me citer un mariage loupé entre un mets et un vin ? M.A. A part le fromage et le vin rouge, je dirais un Saint Nicolas de Bourgueil (ndlr : un rouge du Val de Loire à base de Cabernet Franc) avec un œuf parfait (ndlr : un œuf cuit à basse température dans sa coquille). Les tanins ne fonctionnent pas avec le gras de l’œuf. La WINEista. Pensez-vous qu’il y a des plats avec lesquels on ne peut boire que de l’eau ? M.A. Non, il y a une telle diversité de vins ! Tous les plats peuvent être accompagnés. La WINEista. Peut-on proposer du vin avec des plats végétariens ? M.A. Oui bien sûr ! Par exemple des légumes verts avec des rouges légers tel le Gamay, qui vont apporter de la gourmandise. Et même avec des vins rouges structurés. La betterave marche très bien avec les rouges du Sud-Ouest. Tout est possible ! La WINEista. Y a-t-il toujours plus d’hommes que de femmes dans le métier de sommelier ? M.A. Je rencontre beaucoup de femmes dans ce milieu, il se féminise. Mais il y a toujours plus d’hommes. Cela évolue, lors de mes concours il y avait 80 hommes pour 3 femmes. La WINEista. Comment expliquez-vous cela ? M.A. Parce que c’est un métier masculin à l’origine. La WINEista. Le fait d’être une sommelière rend-il votre métier plus difficile ? M.A. Je le vois comme un avantage et un inconvénient. Lorsqu’on débute il faut plus faire ses preuves que les hommes. Mais c’est aussi un avantage car il y a certains hommes qui sont plus sensibles au fait que je sois une femme. La WINEista. D’une façon générale, pensez-vous que le monde du vin soit macho ? M.A. Euh… Encore un peu mais ça évolue ! La WINEista. Et le monde de la restauration ? M.A. Non. Il y a de plus en plus de chefs femmes. Il faut laisser faire le temps. J’ai vu l’évolution en moins de 6 ans. Cela ne peut que s’améliorer. On en reparle dans 10 ans place des Grands Hommes ! La WINEista. Quelle est la femme du vin que vous admirez le plus ? M.A. Les vigneronnes ! Chez les vignerons c’est beaucoup plus compliqué quand on est une femme, il faut se battre ! J’apprécie beaucoup Sylvie Courselle du Château Thieuley. Elle est super ! Elle a une cuvée, Le Bien Élevé, à base de Chardonnay qui est très tendre, avec beaucoup de longueur. J’adore sa personnalité, elle a du caractère ! La WINEista. Si vous étiez un vin, vous seriez lequel ? M.A. Je ne peux pas dire, je les aime tous ! La WINEista. Quel accord mets et vins vous fait planer ? M.A. Un accord que je n’aurais jamais cru possible. Un cochon de lait bien confit avec un chou pak choï, qui apporte un peu d’acidité et d’amertume, et un champagne demi-sec de la maison Selosse. C’est phénoménal ! Un équilibre parfait ! La WINEista. Qu’est-ce qui fait qu’un mariage est réussi ? M.A. C’est quand on a les saveurs du vin et du plat qui fusionnent pour créer une troisième saveur en bouche. C’est un peu pareil dans une relation de couple. On doit avoir le meilleur des deux personnes qui ressort. En fait, je suis un peu une conseillère matrimoniale ! La WINEista. Quel est l’endroit de Bordeaux qui vous fait rêver ? M.A. A partir du moment où vous me mettez dans les vignes je suis la plus heureuse ! La WINEista. A Bordeaux, où allez-vous dîner après une journée shopping ? M.A. J’aime bien les bars à vins. Par exemple chez Gilles, au Flacon, on goûte différentes tapas et on peut se faire plaisir au niveau du vin. Il y a une belle sélection de vins au verre. Merci Monia de nous avoir fait saliver. On peut dire que vous faites un très beau métier. Celui de donner du plaisir aux gens qui ont la chance de vous rencontrer ! Dans le prochain épisode, nous partirons à la rencontre d’une vigneronne, une femme du vin au fil des sarments… Retrouvez les autres interviews de la série « Les femmes du vin au fil du raisin » : * Laurence Chesneau-Dupin, Conservateur en chef du Patrimoine, Directrice de la culture de La Cité du Vin à Bordeaux : Les femmes du vin au fil de la cité. * Coralie de Boüard de Laforest, gérante du Château La Fleur de Boüard et vigneronne du Château Clos de Boüard : Les femmes du vin au fil des cuves. * Karine Vallon-Pin, Responsable chêne pour l’œnologie au sein du groupe Charlois : Les femmes du vin au fil de l’élevage. Crédit photo : Atelier Goodday, Gabriel Guibert.]]>
Publié lefévrier 2, 2018
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