Sous les spotlights
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Les femmes du vin au fil des galons

Nous avons rendez-vous avec Anne, que nous croisons sur le chemin parce qu’elle s’est forcément arrêtée observer les vignes, avant de nous conduire dans l’antre douillet du chai. L’heure est à l’attinage des barriques. Un terme utilisé dans la marine, consistant à mettre en place les tins servant à accueillir les navires lors de leur mise à sec. Une opération aussi pointilleuse et périlleuse pour les bateaux que pour les fûts de chêne. Après leur soutirage, ils sont démontés des rangs afin d’être nettoyés. Il faut ensuite les remettre en position. La première rangée est soutenue par les tins en bois non traité qui sont au sol. Elle servira de socle à toutes les autres. Un vrai travail d’équilibriste ! Anne, parisienne d’origine, n’est pas issue du milieu du vin. C’est son envie de travailler dans cette filière qui l’a éloignée de la capitale. Depuis toute petite, elle a été sensibilisée aux arts de la table et à l’exception des terroirs français par ses parents, qui exerçaient des métiers de bouche. Cette éducation épicurienne l’a tout naturellement menée vers une école d’ingénieur agronome, où elle s’est rapidement rendu compte qu’elle était tout particulièrement intéressée par deux univers relativement proches : le vin et le fromage. Deux produits agricoles transformés, qui portent une part de la culture et de l’art de vivre à la française. Dès son premier stage dans le monde du vin, elle a été piquée par le virus. Elle continuera à manger du fromage, mais elle deviendra œnologue ! Après un petit tour de France des régions viticoles, elle a porté son dévolu sur le vignoble bordelais, peut-être parce que la ville de Bordeaux a séduit son âme de citadine ! N’étant pas originaire du cru, son intronisation n’a pas été du tout cuit. Mais, forte de ses compétences et de sa ténacité, elle a rapidement gravi les échelons. Une expérience chez le négociant Ginestet, une autre « à la bonne école » chez Bernard Magrez pendant 7 ans, pour arriver fin 2009 à la direction technique du groupe Crédit Agricole Grands Crus qui possède 5 propriétés de prestige sur le vignoble bordelais (Château la Tour de Mons en Margaux Cru Bourgeois, Château Grand-Puy Ducasse en Pauillac, Château Meyney en Saint-Estèphe, Château Blaignan en Médoc Cru Bourgeois, Clos Saint-Vincent en Saint-Emilion). Anne, les cheveux châtains foncés au carré et au port altier, a un air de Jackie Kennedy, avec un regard un peu plus dur, qui montre la détermination et la volonté dont elle a du faire preuve pour arriver là où elle est… La WINEista. Quelles sont les missions d’une directrice générale adjointe chez CA Grands Crus ? Anne Le Naour. C’est de proposer et de valider l’ensemble des décisions qui ont trait à la partie technique ; de la plantation, à la mise en bouteille. Ce qui occupe 80% de mon temps. Je suis également impliquée dans la gestion, l’administration, la représentation, la distribution des vins.  La WINEista. Qu’est ce qui vous passionne le plus dans votre métier ? A.L.N. Comment dire… Le côté extrêmement pluridisciplinaire de ce métier. Il faut beaucoup de rigueur, mais aussi de la créativité. Il faut embarquer les équipes, les convaincre. Je suis plus dans un management de conviction. J’aime bien que l’on soit sur la même longueur d’onde et que l’on partage les résultats ensemble. Et puis surtout, on cultive une plante pérenne, ce sont les générations suivantes qui en récolteront les fruits.  La WINEista. Quels sont les temps forts de votre métier ? A.L.N. Incontestablement les vendanges et les vinifications ! On y est 7 jours sur 7. Cela demande une forte implication. C’est là que l’on concrétise le travail de l’ensemble des équipes de toute une année. Mais on peut y vivre tous les jours des temps forts. Il n’y a pas de routine dans ce métier ! On sort de chaque millésime un peu transformé parce que l’on s’enrichit d’une nouvelle expérience. La WINEista. Cela n’est-il pas difficile d’être sur plusieurs lieux à la fois (ndlr : sur les 5 propriétés de CA Grands Crus) ? A.L.N. Non moi j’adore ! Alors parfois, il peut y avoir la frustration de ne pas être là à certains moments parce qu’on est ailleurs. Mais j’ai le retour des équipes, qui est très important. Au contraire, je dirais que c’est un enrichissement et une prise de hauteur. Quand il se produit quelque chose sur une propriété, on en tire des leçons pour les autres sites. C’est vraiment passionnant ! La WINEista. Parmi les propriétés de CA Grands Crus, avez-vous un chouchou ? A.L.N. Hum… C’est difficile de répondre à cette question… En terme d’unité, je pourrais dire que j’ai un petit coup de cœur pour Meyney. C’est l’ainé, il est né en 1662. Il y a une histoire fabuleuse, que l’on peut déguster au travers des différents millésimes. Mais j’ai de l’affection pour l’ensemble de nos propriétés. Elles ont toutes de la singularité, un terroir différent que l’on essaie d’exprimer au mieux. La WINEista. A l’heure où les consommateurs sont à la recherche d’identité quand ils choisissent une bouteille, cela n’est-il pas préjudiciable d’être un Château appartenant à une banque ? A.L.N. C’est peut-être moins sexy… Mais je ne pense pas que cela soit préjudiciable parce que les propriétés sont incarnées par les Hommes qui y travaillent ; les maîtres de chai, les responsables d’exploitation, moi-même. Vous avez discuté avec certains d’entre eux, vous avez ressenti le fort sentiment d’appartenance de ces personnes. Je pense que notre force c’est notre équipe. La WINEista. Dans le bordelais, y a-t-il beaucoup de femmes à des postes de direction ? A.L.N. Il n’y en a pas beaucoup. J’espère qu’il y en aura plus demain. On est encore nettement sous représentées. Il n’y a cependant plus le sentiment qu’il est impensable de présenter une candidature féminine à un poste de direction. La WINEista. Pensez-vous que le monde du vin soit macho ? A.L.N. Euh… Pas plus que les autres… Mais probablement pas beaucoup moins non plus ! J’ai sans doute dû fournir plus d’efforts parce que je suis une femme. La WINEista. Et dans les équipes techniques des propriétés de CA Grands Crus, est-on à la parité ? A.L.N. Au Château la Tour de Mons c’est une maître de chai, à Grand-Puy Ducasse aussi, la responsable vigne et chai du Clos Saint-Vincent est également une femme. On est presque pas loin de la parité, ce qui n’est pas très courant. On n’a pas encore de femme chef de culture. Je suis évidemment pour que les femmes puissent prendre des positions qui soient en phase avec leurs niveaux de compétences. Je ne suis pas pour embaucher des femmes parce qu’elles sont des femmes. Bien qu’on aura vraiment l’égalité hommes femmes quand on acceptera d’avoir des femmes incompétentes à des postes importants ! La WINEista. Quelle est la femme du vin que vous admirez le plus ? A.L.N. J’ai eu la chance de rencontrer Dominique Hériard Dubreuil (ndlr : fille d’André Hériard Dubreuil, ex président directeur général de Rémy Martin) lors d’une conférence sur les femmes du vin. Malgré ses origines, elle n’était pas prédestinée à reprendre la direction de l’entreprise familiale. Elle est partie aux États-Unis construire sa propre histoire avant de revenir dans sa Charente natale et de réussir à s’imposer face à ses frères à qui la place était promise… J’ai rencontré pour la première fois Isabelle Davin, œnologue des Châteaux Léoville Poyferré et Le Crock, lors de mon stage d’ingénieur. C’était la première femme de ma génération que je croisais et qui occupait un poste à fortes responsabilités à Bordeaux. Je l’ai trouvée à la fois très professionnelle, accessible et très humble. Sa rencontre a ranimé en moi l’espoir qu’une femme, non fille de propriétaire, puisse occuper un poste intéressant sur la partie technique. Et puis ma mère, elle est mon mentor depuis mon plus jeune âge. Elle est devenue vigneronne en Luberon (Domaine des Peyre) il y a moins de dix ans. Une reconversion qui me rend encore plus fière d’elle ! La WINEista. Quelle bouteille ouvrez-vous après une réunion avec les actionnaires de CA Grands Crus ? A.L.N. C’est très variable. Cela dépend du moment. J’aime bien sortir de Bordeaux. Il faut toujours avoir un niveau de curiosité élevé. Quoique, ma dernière grande émotion a été avec un Château Les Carmes Haut-Brion 1910, que j’ai eu la chance de goûter à la propriété. Au delà du fait que j’ai été surprise par l’aspect jeune du vin, c’est toujours un grand moment de déguster des vieux millésimes. On boit une part d’histoire ! La WINEista. Si je vous dis « épargner », cela vous évoque quoi ? A.L.N. C’est marrant, j’ai passé une très bonne journée professionnelle hier et je me suis dit en rentrant : si seulement on pouvait épargner des choses qui se passent bien pour les réutiliser les jours où on est moins bien. Cela m’évoque plus une épargne d’énergie que financière. Mais peut-être que mon actionnaire n’aimerait pas entendre ça ! La WINEista. Quel est l’endroit de Bordeaux qui vous fait rêver ? A.L.N. C’est difficile de citer tous les lieux qui me font rêver. J’aime bien les volumes et la lumière que l’on retrouve dans l’ancien Entrepôt Lainé qui accueille aujourd’hui le CAPC (ndlr : le musée d’art contemporain). J’aime aussi le Miroir d’Eau. Il y a plein de belles choses à Bordeaux ! La WINEista. Où allez-vous dîner quand vous avez besoin de vous relaxer ? A.L.N. J’ai récemment découvert une super adresse, le Hâ restaurant. C’est une très très bonne table, le chef est sympa, le service est impeccable. J’ai pris le menu avec les accords mets et vins, la qualité des vins est très intéressante ! Anne, en tant que femme et travaillant dans la filière vin, je ne peux qu’être fière de votre parcours. Merci de porter haut et fort les couleurs des femmes et des vins ! A très vite pour vibrer avec une nouvelle femme du vin… Retrouvez les autres interviews : * Laurence Chesneau-Dupin, Conservateur en chef du Patrimoine, Directrice de la culture de La Cité du Vin à Bordeaux : Les femmes du vin au fil de la cité. * Coralie de Boüard de Laforest, gérante du Château La Fleur de Boüard et vigneronne du Château Clos de Boüard : Les femmes du vin au fil des cuves. * Karine Vallon-Pin, Responsable chêne pour l’œnologie au sein du groupe Charlois : Les femmes du vin au fil de l’élevage. * Monia Aoudi, chef sommelière au restaurant Le Prince Noir à Bordeaux : Les femmes du vin au fil de l’assiette. * Latifa Barthe Saikouk, vigneronne au domaine Saïkouk / Le Mont du Puit : Les femmes du vin au fil des sarments. Crédit photo : Atelier Goodday, Gabriel Guibert.]]>

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