Sous les spotlights
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Les femmes du vin au fil de la nature

ème siècle, celle du Château Lamothe de Haux. Isabelle a, à peine, eu le temps de troquer sa tenue de terrain pour retrouver sa coquetterie naturelle. Nous la retrouvons hésitant entre deux paires de chaussures, un grand sourire aux lèvres. Isabelle est basque, elle a grandi à Mouguerre, un village à côté de Bayonne, avant de quitter « son pays » natal pour poursuivre ses études à la capitale. Elle a toujours été une élève brillante. Après les Classes Préparatoires du lycée Montaigne à Bordeaux, elle a intégré la prestigieuse école d’agronomie, AgroParisTech où elle s’est spécialisée en phytopathologie (les maladies des plantes). Bien que sa famille ne soit pas issue du milieu agricole, elle a grandi à la campagne et s’est toujours sentie proche de la nature. Elle a suivi un cursus lui permettant de travailler à l’extérieur, en rapport avec le végétal. Cela fait maintenant 31 ans qu’elle œuvre pour la santé des plantes. Portée par l’intérêt pour son métier, elle a su résister aux diverses fusions et acquisitions qui ont abouti à la création de la société Bayer France. De la Vallée du Rhône au Bordelais, en passant par le Gers, les Charentes, la Dordogne, elle a dispensé des conseils techniques relatifs aux plantes cultivées dans ces différents territoires. Aujourd’hui basée à Bordeaux et rayonnant sur le grand Sud-Ouest, elle travaille notamment sur la culture de la vigne et l’encadrement de l’utilisation des produits phytosanitaires en vue de limiter les impacts sur l’environnement et de garantir la sécurité des applicateurs et des consommateurs. La WINEista. Selon vous, quels sont les enjeux de demain en termes de traitements de la vigne ? Isabelle Ladevèze. Je pense que le gros levier d’amélioration concerne les techniques d’application des produits. De nouvelles technologies pourront se développer demain qui éviteront l’utilisation de pulvérisateurs pour traiter la vigne. L’arboriculture travaille déjà sur le projet PulVéFix et des essais sont en cours sur la vigne. Il s’agit d’un système fixe de pulvérisation, installé sur chaque plante, évitant ainsi l’utilisation des tracteurs et des pulvérisateurs qui consomment du carburant, rejettent des gaz à effet de serre, tassent les sols, font du bruit, peuvent gêner les riverains. Cela permettra d’être très réactif, de pouvoir traiter l’ensemble d’une exploitation juste avant une pluie, de faciliter l’emploi de produits plus difficiles à positionner comme les biocontrôles (ndlr : des produits d’origine naturelle qui régulent les maladies ou les ravageurs). La WINEista. Aujourd’hui il y a un rejet de la chimie, n’y a-t-il pas des molécules d’origine naturelle qui soient dangereuses ? I.L. Oui bien sûr ! L’origine naturelle ne garantit pas du tout l’innocuité. Il y a bon nombre de substances toxiques d’origine naturelle. Un amalgame est malheureusement fait par certains, entretenu par d’autres, mais qui est faux. Avant leur autorisation de mise sur le marché, les produits de protection des plantes ont une évaluation qui est très poussée en Europe et en France, au moins comparable à celle effectuée sur les médicaments. Ces études permettent de vérifier scientifiquement que les produits sont efficaces et que leur impact est acceptable pour l’environnement, l’agriculteur, le consommateur, le riverain et le promeneur. Cela n’est cependant pas une garantie de zéro effet. Toute action humaine a un impact environnemental. Les diverses solutions de protection des cultures permettent de lutter contre un organisme vivant, cela ne peut pas être complètement neutre. C’est pour cela que ces produits sont évalués avant leur autorisation et s’accompagnent de conditions d’utilisation précises et réglementées comparables à la posologie des médicaments. On se soigne tous même s’il peut parfois y avoir des effets secondaires car on connaît le bénéfice du soin, qui est supérieur au risque. Si l’espérance de vie a considérablement augmenté dans les pays développés, c’est principalement parce que l’on a amélioré notre alimentation et notre santé. La WINEista. Pourquoi les vigneronnes et vignerons utilisent-ils des produits phytosanitaires pour traiter la vigne ? I.L. Parce que la vigne est une plante sensible à plusieurs maladies. Ces maladies peuvent entraîner des défauts qualitatifs de la vendange et des vins, des pertes conséquentes de récoltes. Il y a des travaux en cours afin de sélectionner des cépages plus résistants mais cette solution n’est envisageable qu’à moyen terme. Les cépages actuellement cultivés sous nos latitudes sont très sensibles au mildiou, à l’oïdium et au botrytis. Dans le Bordelais, le mildiou peut entrainer une destruction totale de la récolte. Comme cette année, où la maladie a été très virulente. Il y a un impact économique énorme pour des viticulteurs qui vivent de leur production ! Les seules solutions proposées aujourd’hui sont de protéger la vigne avec des produits phytosanitaires que celle-ci soit en culture biologique ou pas. La WINEista. Leurs pratiques ont-elles évolué ces 30 dernières années ? I.L. Oui ! Tous les acteurs ont progressé ! Les produits ont évolué. Ils sont de plus en plus sélectifs, donc avec de moins en moins d’impacts secondaires. Même si, comme je l’ai dit avant, on n’aura jamais de produits complètement neutres. Les vignerons raisonnent beaucoup plus leur protection. Ils utilisent l’agronomie pour limiter le développement des maladies. Ils ont des outils d’aide à la décision, qui tiennent compte du climat et de la dynamique de l’épidémie, leur permettant de décider ou pas de traiter et à quel moment. Ils arrivent aussi à mieux cibler la pulvérisation sur le végétal et éviter les dérives. Ils se protègent mieux. Ils prennent en compte la biodiversité, on voit de plus en plus de vignes enherbées. Il y a eu une vraie prise de conscience du monde viticole sur le fait qu’on n’utilise pas de produits anodins même s’ils ont été homologués après une évaluation du risque. L’objectif est d’avoir des raisins de qualité, pour obtenir de bons vins, en respectant au mieux l’environnement et l’applicateur. La WINEista. En vigne, y a-t-il une mission, que vous avez menée, qui vous a tout particulièrement comblée ? I.L. Oui ! Il y en a plusieurs ! Je vais parler de la plus récente. J’accompagne un viticulteur dans sa démarche proactive consistant à expliquer son métier à ses voisins. Le but est de définir ensemble une façon de fonctionner qui satisfasse tout le monde. On a organisé une visite du domaine, des ateliers de travail, afin de définir une charte de « bien vivre ensemble ». Par exemple, d’éviter les nuisances sonores en ne traitant pas avant 7h du matin, en prévenant le voisinage la veille de chaque passage du pulvérisateur. La grande majorité d’entre eux a joué le jeu. Quand on explique les réalités d’un métier et que l’on établit le dialogue, tout le monde arrive à cohabiter. La WINEista. On parlait précédemment des nuisances dues à l’utilisation des tracteurs, que pensez-vous du retour des chevaux dans les vignes ? I.L. Je n’ai pas trop d’avis sur la question. Cette utilisation est marginale. Si cela leur fait plaisir ! Je pense cependant que c’est une démarche « marketing ». Un beau cheval de trait est très photogénique. J’espère qu’il y a de vraies convictions pour certains, mais je ne pense pas que cela soit toujours le cas… La WINEista. L’utilisation des produits phytosanitaires a fait débat suite à l’émission de Cash Investigation. En tant que professionnelle de la protection des cultures, quelle est votre avis sur ce documentaire ? I.L. C’est un reportage à charge, qui joue sur la peur. Par exemple, concernant les molécules retrouvées dans les cheveux des enfants de l’école de Léognan, j’ai consulté certaines de ces analyses et on ne retrouve que très peu de molécules utilisées en agriculture, un peu plus à usage domestique. De plus, il ne faut pas oublier que la présence ne veut pas dire qu’il y ait un risque. Les quelques molécules retrouvées sont à des doses infinitésimales, cela n’a aucune signification toxicologique. C’est donc une vision complétement biaisée des choses, basée sur des sources peu fiables qui n’ont aucune valeur scientifique. Parler des enfants cela fait peur. On joue alors sur l’affectif et l’émotionnel. C’est très bien monté pour affoler les gens et cela a malheureusement marché ! La WINEista. N’est-il pas difficile de travailler pour une multinationale qui n’a pas souvent bonne presse ? I.L. Euh… Je ne veux pas mentir, c’est plus difficile qu’avant. Parce qu’il y a de plus en plus de personnes de la filière qui sont gênées d’évoquer le sujet de la protection phytosanitaire. Cela traduit un contexte qui n’est pas raisonnable ou raisonné. En arriver là c’est quand même bien dommage ! Les produits phytosanitaires sont essentiels à la production agricole. Il faut bien sûr les utiliser du mieux possible. Moins on les utilise, mieux c’est. C’est comme les médicaments, moi, moins j’en prends, mieux je me porte. Tout le monde voudrait arriver à cela ! Je sais pourquoi je travaille et dans quel esprit on le fait. Je connais tout le travail qui est fait en amont avant d’autoriser la mise sur le marché de nos produits, tout le travail qui est fait pour accompagner leur utilisation. Je connais le professionnalisme de mes collègues, le sérieux et la rigueur des autorités qui nous délivrent les autorisations. On fait ça pour protéger les cultures et pas pour empoisonner la planète ! La WINEista. Pensez-vous que le monde du vin soit macho ? I.L. Pas plus qu’ailleurs… Il y a certaines personnes qui n’ont pas une vision égalitariste des hommes et des femmes, mais pas plus que dans un autre secteur. La WINEista. Aujourd’hui, a-t-on la parité hommes/femmes dans les métiers techniques de la protection de la vigne ? I.L. Non pas du tout ! Il y a beaucoup plus d’hommes que de femmes, même si la profession s’est féminisée depuis 10/15 ans. Mais les hommes sont prêts à écouter des bons conseils apportés par une femme. Je me mets rarement en position de me dire que j’ai un handicap parce que je suis une femme. Je me dis que je fais mon boulot le mieux possible, point. Après, de temps en temps, on sent que la relation est biaisée parce qu’on a un homme en face qui nous regarde différemment parce qu’on est une femme. Mais c’est quand même pas si fréquent que ça.  La WINEista. Quelle bouteille emporteriez-vous dans votre valise si vous deviez partir plusieurs mois sur une île déserte ? I.L. Oh là là !!! Pour plusieurs mois, il me faudrait plus qu’une bouteille ! Plus ça va, plus j’apprécie les blancs. J’aime leurs arômes primaires de fruits, de fleurs. Je prendrais un Saint-Péray. La cuvée Les Pins, du Domaine Bernard Gripa. Ce vin me fait rêver ! Il a un nez charmeur, séduisant, et en bouche, il est super bon. La WINEista. Et vous rêveriez de la déguster avec quel plat ? I.L. Ah ! C’est une bonne question… C’est un vin qui est tellement bon, que je n’ai presque pas envie de manger avec ! Il ne faut pas quelque chose qui l’éteigne. Je l’aime à l’apéro ou avec des poissons fins. La WINEista. Si je vous dis « environnement », cela vous évoque quoi ? I.L. La nature et l’Homme. On est une composante de l’environnement. On est l’animal qui s’est le plus développé et qui a le plus bouleversé son environnement. Il faut continuer à progresser sur sa protection, sans tout rejeter en bloc. On ne pourrait pas revenir à l’âge de pierre ! La WINEista. Quel est l’endroit de Bordeaux qui vous fait chavirer ? I.L. Les quais sont une réussite totale, au niveau paysager et humain ! Les gens se les sont appropriés, ils sont devenus un vrai lieu de vie. J’aime beaucoup aussi le Grand Théâtre. Ce bâtiment est magnifique !  La WINEista. A Bordeaux, où allez-vous dîner quand vous avez envie de vous régaler ? I.L. Je suis récemment allée chez Glouton, pas loin du Palais de Justice. C’est super bon, avec une ambiance sympa et décontractée. J’aime aussi le Peppone cours Clemenceau. J’adore aller dans leur cave, me perdre pour chercher une bouteille de vin. J’aurais aimé pouvoir discuter des heures avec Isabelle. Parce qu’elle n’a pas la langue dans sa poche, ni la langue de bois, et qu’elle a une vision pratique de la réalité du terrain. Elle connaît les enjeux et les problématiques de la protection de la vigne. Peu importe les divergences d’opinion, la filière ne pourra trouver des solutions que si elle travaille main dans la main, avec courage et sincérité. Merci Isabelle ! Retrouvez les autres interviews des femmes du vin : * Laurence Chesneau-Dupin, Conservateur en chef du Patrimoine, Directrice de la culture de La Cité du Vin à Bordeaux : Les femmes du vin au fil de la cité. * Coralie de Boüard de Laforest, gérante du Château La Fleur de Boüard et vigneronne du Château Clos de Boüard : Les femmes du vin au fil des cuves. * Karine Vallon-Pin, responsable chêne pour l’œnologie au sein du groupe Charlois : Les femmes du vin au fil de l’élevage. * Monia Aoudi, chef sommelière au restaurant Le Prince Noir à Bordeaux : Les femmes du vin au fil de l’assiette. * Latifa Barthe Saikouk, vigneronne au domaine Saïkouk / Le Mont du Puit : Les femmes du vin au fil des sarments. * Anne Le Naour, directrice générale adjointe des propriétés bordelaises de Crédit Agricole Grands Crus : Les femmes du vin au fil des galons. * Jane Anson, journaliste vin et écrivaine : Les femmes du vin au fil des lignes. Crédit photo : Atelier Goodday, Gabriel Guibert.]]>

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